Les Belles Échappées

Les Belles Échappées

UNE JOURNEE DE BONFINEMENT Menterie

UNE JOURNEE DE BONFINEMENT

Menterie poético-réalistico-véridique

 

En ce 26 brouillasse, an 1 du confinement, je me sens l'humeur légère et l'estomac au cœur de la rate. Il y a de bonnes raisons à ça : je me suis levée de bonheur, je me suis enlovée dans un châle de lumière et j'ai couru vers la fenêrge. J'ai couru longtemps, j'ai dû traverser ma chambre à rêver de part en part - elle fait bien 13 embrans sur 17, c'est vous dire s'il m'a fallu du temps ! J'ai ensuite franchi le couloir de 3 coudées de dromadaire de long et pour ça, je l'avoue, j'ai un peu triché : j'ai pris ma voiture un quart de pas beaucoup de temps, mais enfin je suis arrivée dans la vaste entrée de mon appartement de 26 blettes carrées. Ouf ! Je me suis installée sous un saule rieur les pieds dans l'eau, la tête à l'ombre et le nombril au soleil. Il m'a demandé si je voulais un extrait des mémoires de Napoléon, une bonne blague ou une histoire merveilleuse. J'ai opté pour l'histoire merveilleuse, j'avais quand même le temps pour ça : C'était l'histoire d'une Savapasse qui avait un peu de vagues à larmes. C'était beau, c'était triste et poétique. Je peux pas tout vous raconter, mais à la fin, tout est allé au mieux, avec ce quelque chose de pas vraiment fini et d'optimisme qu'il y a parfois dans les histoires : savapasser, savabienspasser... Ça m'a donné du punch, prête à continuer le chemin, j'en ai pris un deuxième verre – de punch, pas de chemin - et j'ai repris la route. Je suis arrivée à la porte du salon, j'ai traversé en diagonale sur mon skate, ça m'a pris trois bonnes heures. C'est là que je me suis rendu compte que j'avais faim… Ben tiens, 42 heures dix-bleuf ! C'était l'heure de manger ! J'ai rétrogradé, fait demi-tour, rangé la trottinette au bord du trottoir, je me suis hissée par la corde à nœuds jusqu'au frigo. 
J'ouvre la porte : le drapeau noir ! Trois asticots que j'élevais dans le secret espoir de les voir se transformer en hirondelles avaient boulotté mes bramioches, mes pouloches, mes caroches et mes gameloches ! Pas décidée à rester le ventre vide, j'ai bien pensé à bouffer les asticots. Mais ils étaient si mignons ! Ils m'ont suppliée, m'ont demandé pardon, m'ont expliqué le pourquoi et le comment de trois asticots en pleine croissance et prêts à muer engloutissant sans permission les bramioches, les pouloches, les caroches et les gameloches. J'ai pardonné mais je leur ai demandé : 
- Et qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Le premier, qui avait le plus d'imagination, a suggéré d'organiser une descente vers le potager le plus proche. Le deuxième, qui était le plus sage, a dressé des plans et constaté que le premier potager était à au moins 70 grossèpes d'ici, ce qui rendait la chose impossible. Le troisième asticot était le seul à avoir la tête sur les épaules. Il a décrété que le mieux était de faire Ramadan, Vendredi saint et Yom Kippour en attendant des jours meilleurs. Alors on s'est recueillis tous les quatre, et j'ai fini par m'endormir, ce qui n'est pas contraire à la règle de St Nazaire sur les jeûnes réglementaires. J'ai été réveillée par la sirène d'un bateau qui partait pour une croisière sur l'estuaire. J'ai enfourché le troisième asticot (qui entretemps s'était transformé en chauve-souris) et je suis arrivée pile poil au-dessus du pont de Tancarville, juste à temps pour voir le magnifique trois bâts larguer les amarres ! Quel spectacle les amies, quel spectacle ! Toutes ces flammeberches agitant leurs longues queues en signe d'au revoir, le populo se tassait sur les digues au mépris total de toutes les règles de distanciation sociale, le ministère de la défense nationale avait dépêché sa collection de soldats de plomb pour tirer une salve d'honneur Quelle journée ! J'ai tiré l'oreille de mon asticot qui, après son bref passage dans la peau d'une chauve-souris, était devenu oiseau de paradis. Il m'a demandé si j'en avais assez vu. Quoiqu'un peu flabagie par tout ce que j'avais vécu, je lui ai dit qu'il me restait encore une petite place pour un ravissement surprisementaire. 
Il a procédé à une manœuvre téméraire de vol à l'envers apprise sans doute lors de sa 
formation de pilote de chasse, j'ai tenu ferme ses argibates, et nous avons foncé droit sur d'épais nuages ! Cela a duré au moins tout cela de temps. Et puis j'ai senti un choc : nous venions de nous poser dans un endroit verzépieux ! 
Enfin j'ai enfin ouvert les yeux : j'étais de nouveau dans mon appartejoie ! J'ai sauté par?dessus la rambarde, repris ma bicyvolette, refait tout le trajet, traversé le ballon, le tiroir, la vaste mantrave, et je me suis retrouvée dans les bras de mon plouf ! Félicité parfaite d'une nouvelle journée de bonfinement. Et j'ai fermé les yeux pour me rendormir dans une parfaite sérénité.

Sonia Koskas, tous droits réservés.

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